Les langues se délient… autour de la Loi Fioraso.
-– « Tu as vu ce que veut faire la ministre de l’enseignement supérieur, Mme Fioraso ?
– Non, quoi ?
– Elle veut que les profs de fac parlent en anglais… !
– Oh… »
« Do you speak English ? » devient le nouveau sujet à la mode qui agite le milieu universitaire. En effet, l’article 2 du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche modifie l’article L. 121-3 du Code de l’éducation en étendant les exceptions au principe qui fait du français la langue de l’enseignement, des examens, des concours et des thèses. Il permet ainsi de dispenser en langues étrangères une partie des enseignements effectués dans le cadre d’accords avec des universités étrangères ou de programmes financés par l’Union Européenne. Cette modification doit permettre, selon le Gouvernement, d’améliorer l’attractivité de l’enseignement supérieur français vis-à-vis des étudiants étrangers.
D’apparence anodine, cette disposition cristallise les antagonismes entre :
– Les partisans d’une telle réforme (les Prix Nobel Françoise Barré-Sinoussi et Serge Haroche, Cédric Villani, médaille Fields, ou le président du CNRS, Alain Fuchs…) pour qui cet article 2 ne fait qu’entériner un état de fait. L’anglais est effectivement, dans de nombreuses disciplines, la langue de la communauté scientifique. Les publications, les colloques internationaux… se font en anglais.
– Les opposants à cette évolution (ou plutôt, au regard des réactions, à cette r-évolution) sont tout aussi nombreux : l’Académie française, le professeur honoraire au Collège de France Claude Hagège, le philosophe Michel Serres. Cette loi sonnerait le glas de la langue française, marquerait une hégémonie anglo-saxonne.
Dans les personnalités citées, il n’est pas étonnant que s’opposent les sciences dures (mathématiciens, physiciens… qui sont partisans de la réforme) et les sciences humaines (philosophes, linguistes… qui s’opposent à la réforme). En effet, le « langage » des équations et des formules mathématiques est déjà porteur d’une « universalité » qui transcende les pays et les cultures. Franchir le Rubicon, faire que tous les chercheurs parlent en anglais est plus facilement envisageable dans ces disciplines. En revanche, il est des domaines où tout n’est pas « traduisible »… Par exemple, en droit, traduire « action paulienne » ou « action oblique » n’a guère de sens en anglais. En revanche, il est possible d’expliquer le concept, le mécanisme… A contrario, le droit des « torts » anglais peut, certes, se traduire par « délit » mais ne revêt pas totalement la même signification que le terme français… Par conséquent, il ne faudrait pas, avec cet article 2 de la loi Fioraso, aboutir à un « forçage » qui aurait plus un effet marketing qu’un véritable effet bénéfique sur la recherche scientifique. Il convient d’utiliser l’anglais à bon escient dans la traduction – ou non – des termes techniques et dans la démarche réflexive.
Il n’en reste pas moins que l’apprentissage du français est de moins en moins choisi à l’étranger. Dans ces conditions, élargir les enseignements en anglais peut effectivement convaincre davantage d’étudiants de venir poursuivre leurs études ou leurs recherches en France. Ils contribuent et participent ainsi au « rayonnement » de notre pays. Un autre argument, essentiel et pourtant non évoqué dans les débats, est celui du bénéfice que représente l’apprentissage de l’anglais pour nos propres étudiants français. Parler en anglais permet, en effet, de « décomplexer » nos étudiants français si souvent brocardés pour leur prononciation, leur manque de maîtrise de la langue de Shakespeare… Osons dire que notre petit accent français, lorsque nous parlons anglais, fait notre charme ! Osons dire qu’il est même apprécié, comme j’ai moi-même pu le constater lors des enseignements que j’ai dispensé à l’étranger ! En outre, ne nous voilons pas la face. Alors que le contexte économique français est anxiogène, que la peur d’un déclassement social est latente, parler anglais peut se révéler être une bouffée d’oxygène, une porte salvatrice pour trouver du travail. En effet, comme nos voisins grecs, de nombreux français envisagent ou choisissent la voie de l’expatriation. C’est d’ailleurs le choix, malheureusement, de trop nombreux chercheurs français. Choix volontaire ou imposé par le contexte économique.
En raison de la précarité des statuts d’emploi au sein de la recherche française, l’Angleterre ou les Etats-Unis deviennent un « eldorado ». La maîtrise de l’anglais constitue alors indéniablement une valeur ajoutée pour sécuriser les parcours professionnels des chercheurs (« jeunes » principalement). Ce problème de la précarité des statuts n’est malheureusement pas suffisamment abordé par la loi Fioraso comme le souligne le collectif « Les précaires de la recherche ». Alors que l’accord sur la sécurisation de l’emploi est actuellement débattu au Parlement (mais ne concerne que le secteur privé), alors qu’il est pourtant essentiel de proposer des conditions décentes d’existence à nos chercheurs, alors que l’exposé des motifs de la loi souligne que « grâce à l’enseignement supérieur et à la recherche, [la jeunesse] peut former l’espoir de se projeter dans l’avenir, de voir s’ouvrir des perspectives pour tous », force est de constater que la loi Fioraso ne saisit pas ce moment « historique » pour faire de réelles propositions en ce sens. Pourtant, des solutions existent comme je l’ai mis en avant dans ma thèse. Il ne suffit pas d’attirer les chercheurs étrangers, il faut aussi retenir nos talents français.
– « Tu as remarqué le grand absent du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche ?
– Non, c’est quoi ?
– C’est la question de la sécurisation des parcours professionnels dans l’enseignement supérieur et la recherche !
– Oh… »
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