Interview

Interview donnée par Me PASCAL à France Info et publiée le 10.11.2021 à l'adresse

​​​​​​​https://www.francetvinfo.fr/politique/front-national/vrai-ou-fake-emploi-ikea-discrimine-t-il-les-francais-en-faveur-des-etrangers-comme-l-affirme-marine-le-pen_4838355.html











Interview donnée par Me PASCAL à Capital et publiée le 26.08.2021 à l'adresse

https://www.capital.fr/votre-carriere/peut-on-profiter-du-teletravail-pour-cumuler-plusieurs-emplois-1412779

Emploi : Ikea discrimine-t-il les Français en faveur des étrangers, comme l'affirme Marine Le Pen ?

Sur les réseaux sociaux, des figures d'extrême droite ont accusé le géant suédois de l'ameublement de discrimination, en pointant du doigt une offre de formation proposée par une entreprise partenaire travaillant à l'insertion professionnelle des réfugiés.

Article rédigé par Benoît Zagdoun

France Télévisions

En quelques heures, le hashtag #IkeaDiscrimine s'est répandu sur Twitter, dimanche 7 novembre, propulsé par des élus du Rassemblement national, dont Marine Le Pen, et des sympathisants de l'extrême droite. Les tweets accusent le géant suédois du meuble en kit de pratiquer une supposée discrimination à l'embauche en faveur des étrangers et donc au détriment des Français. La polémique s'appuie sur une annonce pour une offre de formation. 

Une offre de formation réservée aux étrangers

L'annonce est proposée par l'entreprise Each One et porte sur une "formation rémunérée" permettant de devenir cariste et préparateur ou préparatrice de commande chez Ikea France. L'entreprise "recherche 15 personnes" et propose une "embauche" en CDD, pouvant se tranformer en CDI. Les postes sont à pourvoir dans le dépôt du groupe à Châtres (Seine-et-Marne). Parmi les conditions à remplir pour postuler à cette formation, il est précisé qu'il faut "être réfugié ou bénéficiaire de la protection subsidiaire". Les Français seraient donc exclus de cette offre ? 

L'attaque en discrimination à l'encontre d'Ikea est lancée dimanche matin sur Twitter par Damien Rieu, une figure de l'extrême droite qui s'est fait une spécialité des controverses virales sur l'immigration ou l'islam notamment. Celui-ci se fend d'une série de tweets accusateurs. "Chez Ikea France, on discrimine carrément les Français", assène-t-il.


L'accusation est relayée dans la matinée par des personnalités du RN, comme le député européen Philippe Olivier, dont Damien Rieu est l'assistant parlementaire, ou sa collègue eurodéputée Julie Lechanteux. Le sénateur RN des Bouches-du-Rhône, Stéphane Ravier, interpelle lui la ministre du Travail, Elisabeth Borne, réclamant la généralisation de la "préférence nationale à l'emploi".

Le RN se mobilise devant Ikea

La candidate du RN à la présidentielle, Marine Le Pen, tweete à son tour dimanche soir. "Ikea discrimine les Français avec l'aide d'agences spécialisées (Each One, Wero...) et du gouvernement", accuse-t-elle. Celle qui a laissé la présidence du RN à Jordan Bardella pour faire campagne fustige un prétendu "racisme d'Etat" "systémique" "contre les Français", auquel elle promet de mettre fin si elle est élue à la présidence de la République.

La mobilisation de l'extrême droite contre Ikea se poursuit lundi matin, cette fois, avec une action de conseillers régionaux RN d'Ile-de-France devant le site Ikea de Châtres.


La même offre sur le site d'Ikea, sans ce critère

"L'annonce en l'état est maladroite, mal rédigée et prête le flanc à la critique, estime Me Audrey Pascal, avocate en droit du travail au barreau de Limoges, contactée par franceinfo. En voyant cette formation présentée comme en vue d'une embauche, on peut se demander si elle ne fait pas partie d'un processus de recrutement et si ce n'est pas une offre d'embauche déguisée", avance la juriste.

Mais la formation proposée aux réfugiés demandeurs d'emploi par Each One intervient en complément d'un recrutement classique fait de la part d'Ikea. Car le géant du meuble propose sur son site internet une offre d'emploi pour le même poste de cariste, dans le même dépôt de région parisienne, sans y faire mention du critère du statut de réfugié ou bénéficiaire de la protection subsidiaire, requis pour bénéficier de la formation. "On ne peut pas reprocher à Ikea une offre d'embauche discriminatoire, puisque son offre ne comporte pas ce critère", juge Camille Smadja, avocate au barreau de Paris, spécialiste en droit social et droit du travail, jointe par franceinfo. 

Autre objection retenue par la juriste : "L'offre de formation n'a pas été émise par Ikea, mais par Each One et il est précisé qu'elle vise à déboucher sur une embauche", mais sans la garantir. Conclusion : "L'offre d'emploi chez Ikea n'est pas conditionnée de manière directe à ce critère" de statut. "Il n'y a pas de discrimination", conclut également Caroline Diard, enseignante-chercheuse à l'Ecole supérieure de commerce d'Amiens, spécialiste du management et du droit des ressources humaines, sollicitée par franceinfo.

Un "malentendu", selon Ikea

Interrogé par franceinfo, Ikea France regrette le "malentendu" né de cette "offre de formation faite par un partenaire". Reprenant les mots d'un bref communiqué posté sur Twitter lundi soir, le groupe d'ameublement "confirme que ses offres d'emploi sont ouvertes à toutes et tous". L'entreprise ajoute que "plus de 1 000 postes" sont disponibles sur son site internet. Elle précise qu'elle propose "des formations professionnalisantes", "afin de donner accès à l'emploi aux personnes les plus vulnérables", qu'elles soient réfugiées ou non.

L'offre de formation ne peut en elle-même pas être considérée comme discriminatoire, estime l'avocate Camille Smadja, puisqu'elle est proposée par une entreprise dont le rôle est d'aider à l'insertion professionnelle des réfugiés et destinée à ce seul public. Each One est une "société à mission", un statut créé par la loi Pacte en 2019. "L'objectif d'Each One est de permettre à des personnes étrangères de trouver un emploi dans la durée à la hauteur de leurs compétences et de les accompagner pour les aider à trouver leur place en France", explique à franceinfo Théo Scubla, son cofondateur et président, qui déplore des accusations "malhonnêtes" basées sur des informations "partielles". L'entreprise a également répondu aux critiques sur Twitter, dimanche soir. 

L'offre d'emploi d'Ikea est "une offre d'emploi pré-existante, confirme Théo Scubla. Elle n'a pas été créée pour nous. On y apporte simplement des candidats supplémentaires." Le président d'Each One assure que les candidatures de travailleurs étrangers, qu'il s'agisse de "personnes peu qualifiées comme très qualifiées", ne concurrencent pas la main-d'œuvre française. "Les personnes réfugiées sont des demandeurs d'emploi comme les autres, rétorque-t-il. Elles sont payées au même tarif. On en est les garants." 

La formation rémunérée n'est pas prise en charge par Ikea, assure Each One. Elle est dispensée par des formateurs de cette société à mission et par des organismes de formation spécialisés. Le financement est assuré par les partenaires sociaux, dans le cadre de l'insertion professionnelle des demandeurs d'emploi. L'annonce précise d'ailleurs que Pôle emploi en est partenaire, ainsi que l'Opcommerce, un acteur de la formation professionnelle spécialisé dans les activités commerciales.

Outre Ikea, Each One "travaille avec une vingtaine de grandes entreprises et quelques entreprises de taille intermédiaire", précise Théo Scubla. La société à mission "a accompagné environ 2 900 personnes vers l'emploi en six ans" et "a permis à près de 400 personnes de trouver un contrat long, c'est-à-dire soit un CDD de plus de six mois, soit un CDI" depuis le début de l'année. Le cofondateur d'Each One fait valoir que "les étrangers qui trouvent un emploi ne dépendent plus des aides de l'Etat""n'auront plus besoin de toucher le RSA" et "vont payer des impôts".

Si l'extrême droite dénonce une prétendue discrimination à l'embauche anti-Français dans cette annonce, les discriminations visant les personnes d'origine étrangère sur le marché du travail sont, elles, bien réelles. Une étude publiée par l'Insee en 2014 avait révélé que la discrimination à l'embauche à l'encontre des candidats issus de l'immigration était de l'ordre de 40% en moyenne. Le "testing" avait été réalisé en Ile-de-France, en répondant à des offres d'emploi publiées sur des sites spécialisés. L'expérience avait conclu que cette "inégalité de traitement (...) affect[ait] toutes les candidatures d'origine étrangère". Une enquête de l'Ifop auprès de plus de 4 000 salariés français, dévoilée fin mai, confirme cette statistique. Parmi les sondés, 50% des salariés de nationalité étrangère disent avoir fait l'objet de discrimination au cours de leur recherche d'emploi et 41% lors d'un entretien d'embauche, contre respectivement 21% et 20% pour ceux de nationalité française.


Peut-on profiter du télétravail pour cumuler plusieurs emplois ?

Certains cadres américains tirent profit de la flexibilité qu’offre le télétravail en acceptant deux postes à temps plein, dans deux entreprises différentes. Si la pratique est moralement condamnable, elle est légale aux Etats-Unis. Mais en France, le code du travail rend compliqué, voire impossible, ce type de cumul.

Écrit par Philippine Ramognino
Publié le 

“Suremployé” : c’est ainsi que se nomme (en français) une plateforme aux Etats-Unis, qui vise à promouvoir le fait de cumuler plusieurs postes afin de doubler sa rémunération. Mise en lumière par un article du Wall Street Journal, le fait de tirer profit de la généralisation du télétravail séduit de plus en plus de cadres américains, plus de 7.000 personnes étant déjà inscrites sur le site Internet “Overemployed”. Bien qu’il soit plus prudent de ne pas mettre au courant son entreprise, il est légal de cumuler deux emplois aux Etats-Unis, et donc de toucher deux salaires distincts. Grâce au télétravail, qui permet aux salariés d’organiser leur temps de travail loin du regard de leur supérieur, certains employés américains affirment ainsi pouvoir assumer deux postes, sans dépasser 40 heures de travail par semaine. C’est principalement dans les secteurs de la banque, de la finance et de la tech que l’on retrouve ces “doubles-travailleurs”.

Les salariés français pourraient également être tentés d’avoir recours à cette pratique afin d’augmenter significativement leurs revenus. Mais contrairement au droit du travail américain, la loi française encadre strictement la durée de travail hebdomadaire des salariés. Le code du travail n’interdit pas explicitement de cumuler deux postes à temps plein, mais impose une limite en termes d’heures travaillées par semaine : sauf dérogations, les salariés ne peuvent pas travailler plus de 10 heures par jour, plus de 48 heures sur une même semaine, et pas plus de 44 heures en moyenne sur 12 semaines consécutives. Ils doivent également disposer de 11 heures de repos minimum entre chaque prise de poste. L’article L826-1 du code du travail mentionne en ce sens qu’aucun salarié “ne peut accomplir des travaux rémunérés au-delà de la durée maximale du travail, telle qu'elle ressort des dispositions légales de sa profession”.



Le devoir de loyauté et la clause d’exclusivité
Le cumul de deux emplois à plein temps est impossible

Dans le droit français, le principe de la liberté de travail est de rigueur, c’est-à-dire qu’un même salarié a le droit de conclure plusieurs contrats de travail à la fois. Mais cette liberté se heurte à plusieurs obstacles réglementaires et, dans les faits, il n’est pas possible de signer deux contrats de travail à temps plein. “En principe, un emploi à temps plein équivaut généralement à 35 heures de travail par semaine, explique Corinne Metzger, avocate spécialisée en droit du travail. Étant donné que la loi n’autorise pas à travailler plus de 44 heures hebdomadaires en moyenne, les salariés disposent seulement de 9 heures de travail potentiel en plus”. Un chiffre bien trop faible pour accepter un autre poste à temps plein.

Le cadre du télétravail pourrait toutefois permettre de braver ces règles. Le salarié n’étant pas obligé de se rendre au bureau, il n’est pas surveillé par son responsable et peut occuper son temps bien plus librement que s’il était en présentiel. Mais si un employeur se rend compte que son salarié exerce en secret deux postes à plein temps, il sera en droit de lui demander de choisir entre ses deux emplois. “Si le salarié refuse de choisir, son employeur sera alors fondé à le licencier”, note Corinne Metzger. Pour se prémunir contre ces pratiques, la plupart des employeurs demandent une attestation écrite à leurs salariés, certifiant qu’ils respectent ces durées maximales de travail. Car ce n’est pas seulement par souci de la santé du salarié que ces règles sont instaurées : elles garantissent également les entreprises contre les maladies et accidents du travail de leurs employés. “Si un salarié a un accident ou doit partir en congés maladie car sa charge de travail le fragilise, la responsabilité de son employeur est engagée. C’est donc dans l’intérêt de l’entreprise que ces contraintes horaires soient respectées”, complète Audrey Pascal, avocate au barreau de Limoges, spécialiste du droit du travail et de la protection sociale.


Au-delà des contraintes horaires, d’autres freins existent au cumul de plusieurs emplois. Le salarié n’est ainsi pas en droit d’exercer une activité concurrente à l’entreprise pour laquelle il travaille et doit respecter un devoir de loyauté envers son employeur. “Par exemple, un salarié ne peut pas utiliser des informations qu’il aurait d’une entreprise A pour le profit d’une entreprise B”, illustre Audrey Pascal. L’employeur peut également inscrire une clause d’exclusivité dans son contrat de travail, signifiant que le salarié n’a pas le droit de travailler pour une autre entreprise. Contrairement au devoir de loyauté envers son entreprise, qui est un principe mais n’est pas mentionné explicitement dans le code du travail, la signature d’une clause d’exclusivité garantit, comme son nom l’indique, l'exclusivité professionnelle du salarié à son employeur. Elle l’empêche donc d’avoir toute autre activité à côté, que ce soit en tant que salarié dans une entreprise ou qu’indépendant. “Le salarié qui contrevient à cette clause d’exclusivité est alors en infraction”, précise Corinne Metzger.

Un poste à temps plein est compatible avec la création d’une entreprise

Le salarié ne peut pas cumuler deux emplois à temps plein, mais a parfaitement le droit de profiter des avantages du télétravail pour monter sa propre entreprise en parallèle d’un poste salarié à temps plein. Les règles concernant la durée maximale de travail ne s'appliquent plus car le droit considère que le salarié travaille “pour lui”. Mais attention : l’obligation de loyauté reste valable dans le cadre d’une création d’entreprise. Un salarié ne peut donc pas monter une structure qui serait concurrente à l’entreprise pour laquelle il travaille. “Si l’on est salarié, on ne peut évidemment pas faire de détournement de clientèle pour son propre compte”, confirme Audrey Pascal. A noter qu’une création d’entreprise en parallèle d’un contrat à temps plein ne peut pas se faire si le salarié a signé une clause d’exclusivité. Il sera alors contraint de quitter son poste pour monter sa propre structure.

Un poste à temps plein est cumulable avec une activité associative

Un salarié à temps plein peut exercer librement toute activité non salariée en dehors de son temps de travail, qu’elle soit associative ou autre. “Les activités non salariées font partie de la vie privée. Chacun est libre d’avoir des activités bénévoles, il n’y a pas d’incompatibilité particulière”, confirme Corinne Metzger. Si le salarié est libre de ce qu'il fait sur son temps de loisirs, ses activités associatives ne doivent toutefois pas empiéter sur son temps de travail. Selon le droit du travail, le salarié doit exécuter les tâches que lui donne son employeur : le fait que ses activités extérieures affectent son activité professionnelle peut alors être un motif de licenciement. Et la généralisation du télétravail ne change pas les règles : “l’accord qui organise le télétravail au sein d’une entreprise peut prévoir un assouplissement des horaires de travail, mais le salarié est toujours sommé de respecter ceux qui figurent sur son contrat”, souligne l’avocate.

Le régime spécifique des fonctionnaires

Si cumuler plusieurs emplois dans le secteur privé est autorisé en théorie (mais impossible en pratique), il est interdit pour les travailleurs du secteur public d’avoir plusieurs activités professionnelles. “On a souvent des restrictions dans l’administration : la plupart d’entre elles imposent aux fonctionnaires de se consacrer uniquement à leur poste dans le public”, indique Audrey Pascal.
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Le cas des salariés travaillant à temps partiel

Les salariés à temps partiel peuvent évidemment cumuler plusieurs contrats et plusieurs employeurs, mais ils sont soumis aux mêmes contraintes horaires que les salariés à temps plein. Pour protéger les salariés contre la multiplication des contrats de travail, les contrats à temps partiel doivent être de minimum 24 heures par semaine. Une dérogation permettant des contrats d’une durée inférieure de travail hebdomadaire existe, à la condition que ce soit le salarié lui-même qui en ait fait la demande. “Le cumul des contrats à temps partiel se fait beaucoup, c’est quelque chose d’assez classique dans de nombreux secteurs d’activité, indique Corinne Metzger. On le retrouve par exemple chez le personnel de ménage dans les bureaux, qui travaille généralement pour plusieurs sociétés”.

A noter qu’il est possible qu’un salarié à temps plein ait une activité à temps partiel en parallèle, à condition qu’il respecte les heures maximum de travail hebdomadaires. Un salarié à temps plein est également en droit d’exercer une activité saisonnière durant ses vacances. “Les salariés à temps plein peuvent accepter des CDD saisonniers durant leurs vacances car on considère que durant les congés payés, aucune heure n’est travaillée. Mais de la même manière, l’obligation de loyauté et les réglementations en termes d'horaires hebdomadaires s’appliquent”, souligne Audrey Pascal. En revanche, il est impossible d’exercer une quelconque activité professionnelle pendant un arrêt maladie.